Les discours qui critiquent la publicité souffrent souvent d’une grande faiblesse, voire d’une grande pauvreté en termes d’argumentation et d’analyse. En fustigeant sans nuances l’omnipotence de la publicité, elles font en général l’impasse, et en tout bonne conscience qui plus est, sur les apports conceptuels et théoriques majeurs dont les théories de l’info-com nous ont gratifié au cours de la seconde moitié du XXème siècle : attention sélective, dissonance cognitive, two step flow, créativité des pratiques de consommation, etc.
Et le plus navrant dans cette affaire est que, bien souvent, les plus grands esprits sont loin de montrer l’exemple. En effet, la majorité des philosophes qui abordent le sujet le font superficiellement et avec mépris, du haut de leur système, sans daigner s’abaisser à examiner la réalité de sa pratique d’un peu plus près, comme si elle pouvait avoir de l’importance…
Au saura gré à Gilles Lipovetsky, dans ce domaine, de témoigner d’une compréhension plus profonde du monde publicitaire : sans chercher à en faire l’apologie, ce dernier s’attache à lui rendre justice, tout simplement au nom de la rigueur intellectuelle.
« Assimiler l’hyperconsommateur à un individu « hypnotisé », passif, malléable à merci est une profonde erreur. Quelle que soit la puissance des moyens de persuasion, Homo consumericus reste un acteur, un sujet dont les goûts et les intérêts, les valeurs et les prédispositions filtrent les messages auxquels il est exposé. S’il faut récuser l’idée d’un pouvoir démiurgique de la publicité c’est que le consommateur trie et sélectionne les sollicitations qui l’assaillent, ne prêtant attention qu’à ce qui est en résonance avec ses intérêts, ses attentes et ses préférences. L’amateur de plages bretonnes est peu réceptif aux visuels célébrant les stations alpines ; si vous n’aimez pas le whisky, aucune affiche ne vous convaincra jamais d’en acheter. La publicité propose, le consommateur dispose : elle a des pouvoirs, elle n’a pas tous les pouvoirs (p162). »
« Où y a-t-il domination despotique quand le marketing des valeurs ne fait que s’aligner sur l’idéologie triomphante des droits de l’homme, de la moralité minimale ou de l’écologie ? Prise de contrôle de la culture par le branding ? On en est loin, la publicité n’exaltant que ce qui fait consensus. Plus la communication se veut créative et sociétale et plus elle met en scène des systèmes référentiels qu’elle n’a pas constitués en propre, déjà consacrés par le corps social. La publicité hypermoderne apparaît plus comme une caisse de résonance que comme un agent de transformation sociale et culturelle (p166). »
« Contrairement aux apparences, la publicité s’adapte plus à la sensibilité sociale qu’elle n’impose de nouvelles voies. Plus s’accroît son pouvoir d’incitation, plus elle est à l’écoute de la société et moins elle a de puissance démiurgique. (p167)»
Le bonheur paradoxal, Gilles Lipovetsky