Du canal de distraction : la dernière campagne de Canal Plus

septembre 23, 2008

Voici un excellent spot pour la marque Canal Plus que je vous propose d’analyser en détail, en m’appuyant sur des outils conceptuels empruntés à Erving Goffman, afin d’en comprendre mieux les subtilités.

I – Quelques mots sur Erving Goffman

Goffman, dans Les cadres de l’expérience, propose une analyse des situations sociales en termes de cadres. Ces cadres, à la manière des cadres de l’univers cinématographique, sont des règles ou des points de vue qui orientent notre interprétation des situations. Selon lui, les activités sociales se composent à l’origine de cadres primaires sur lesquels sont opérées diverses « transformations » qui modifient le statut de l’activité.

Ainsi, par exemple, un combat n’aura pas le même statut s’il s’agit de 2 hommes qui se battent dans la rue, de 2 hommes qui se battent pour faire semblant, de 2 hommes qui se battent dans le cadre d’une rencontre sportive (ex : un match de boxe), ou encore de 2 hommes qui se battent dans le cadre d’une cérémonie rituelle (par exemple un rite tribal guerrier).

Les transformations sont de 2 types : les modalisations (comme par exemple lorsque l’on simule une activité « pour faire semblant ») et les fabrications (comme lorsque l’on retient une partie de l’information, par exemple dans les cas de manipulations).

II – Une publicité structurée par plusieurs strates de cadres

La publicité et les cadres dont elle se compose se structurent de la façon suivante.

La cadre primaire (ou coeur de l’activité) => Le dialogue entre Marie-Antoinette et le marquis.

Le cadre 2 => Une modalisation du cadre primaire => Un film qui met en scène le dialogue entre Marie-Antoinette et le marquis.

Le cadre 3 => Une modalisation du cadre 2 => Un récit, au sein d’une conversation entre deux femmes, qui décrit un film qui met en scène le dialogue entre Marie-Antoinette et le marquis.

Le cadre 4 (ou frange de l’activité) => Une modalisation du cadre 3 => Une publicité qui met en scène la conversation des deux femmes qui décrit le film qui met en scène le dialogue entre Marie-Antoinette et le marquis.

On distingue ici une mise en abîme de l’activité donnant lieu à une construction complexe : les différentes strates s’imbriquent les unes dans les autres comme des poupées russes.

III – Des cadres organisés dans le temps

Ces cadres sont aussi organisés dans le temps : la structure n’est pas donnée directement au spectateur, elle se déploie dans le temps, et ne se révèle qu’au fur et à mesure.

Temps 1 : ambiguïté

La première scène paraît pour le moins incongrue. On a le sentiment confus que quelque chose cloche, mais sans vraiment savoir pourquoi. Il s’agit là, selon la terminologie de Goffman, d’une situation d’ambiguïté : on ne sait pas d’emblée à travers quel(s) cadre(s) appréhender la situation (ex: l’exemple le plus classique de situation d’ambiguïté est lorsque que vous n’êtes pas en mesure de déterminer si votre interlocuteur, dans le cadre d’une conversation, est sérieux ou s’il plaisante).

L’ambiguïté (pour nous) résulte d’une interférence entre les cadres 2 et 3 : à l’origine distincts, ils se retrouvent fondus en un seul par le jeu poétique des signifiants.

Temps 2 : épuration des cadres

Intervient ensuite la révélation, ou l’explication de la situation. Dans un langage Goffmanien, on dit que le cadre est épuré, car il devient clair pour tout le monde. L’ambiguïté est levée. On comprend enfin ce qui se passe et l’on prend conscience de toutes les épaisseurs ou strates de l’activité : la situation initiale d’apparence absurde faisait en réalité référence à une conversation entre deux personnes.

IV – Mettre en scène le canal de distraction pour valoriser la promesse

Mais le niveau d’analyse ne suffit pas encore à comprendre l’effet surprenant et comique du spot. Il faut se plonger un peu plus avant dans la complexité de la situation.

Lors d’une situation sociale, une multiplicité de canaux de communications s’ajoute aux divers cadres, intervenant ainsi en parallèle de l’activité principale (ex : le canal de distraction, le canal de dissimulation, le canal de direction, le canal de superposition…).

L’effet humoristique de la publicité vient de l’irruption inattendue et importune du canal de distraction (le souffle des joggueuses, appartenant au cadre 3) au sein même de l’intrigue du film (cadre 2).

Le résultat qui s’en suit est une inscription de la situation d’énonciation au cœur même de l’énoncé. Elle est la trace du narrateur, ou émetteur construit, et elle fait apparaître le processus de communication dans toute l’épaisseur de son contexte.

Ce procédé met en évidence le lien indissoluble qui lie certains films (les bons) à leur contexte de consommation. Les bons films, ceux « dont on parle » et qui passent sur Canal Plus, constituent une forme de ciment social. Par ailleurs, ils sont tellement riches en émotions que leur simple récit suffit à immerger totalement les consommateurs, au canal de distraction près toutefois…


Mythe et mythologies chez Roland Bartes

juillet 20, 2008

Un post un peu scolaire dédicacé à mon ami Mythologik.

Le mythe est un mode de signification qui se définit par une forme et une fonction.

Le mythe comme forme

Le mythe est tout d’abord une forme d’expression particulière : « Le mythe ne se définit pas par l’objet de son message, mais par la façon dont il le profère : il y a des limites formelles au mythe, il n’y en a pas de substantielles ». (p181)

Tel un parasite, il détourne des signes existants et en déforme la signification afin d’en faire les signifiants de nouveaux concepts qu’ils ne contiennent pas a priori. Les signes deviennent des « valant pour », des équivalents qui, grâce à un principe d’analogie, expriment de nouvelles idées. Ainsi, par exemple, le simple évènement que constitue la prise de la Bastille, devient le signifiant de concepts beaucoup plus larges comme la Révolution Française, ou encore l’idée de République.

A ce titre, le mythe est ambigu, car il se prête à une double lecture. Cette ambiguïté est la source de son efficacité sociale, car elle l’innocente en lui permettant de ne pas se présenter explicitement pour ce qu’il est :

– « L’appropriation du concept se retrouve tout d’un coup éloigné par la littéralité du sens » (p188).

– « Le mythe est une valeur, il n’a pas la vérité pour sanction : rien ne l’empêche d’être un alibi perpétuel : il lui suffit que son signifiant ait deux faces pour disposer toujours d’un ailleurs : le sens est toujours là pour présenter la forme, la forme est toujours là pour distancer le sens » (p 196).

Le mythe comme fonction :

Sous l’apparence inoffensive de son sens littéral, le mythe véhicule en réalité une charge axiologique et idéologique : « Le mythe est lu comme système factuel alors qu’il n’est qu’un système sémiologique » (p204). Il constitue l’expression et la légitimation de la vision du monde d’un groupe social.

Le mythe dépossède des états de fait sociaux de leur caractère historique et contingent afin de les faire passer pour des nécessités naturelles : « le mythe est constitué par la déperdition de la qualité historique des choses : les choses perdent en lui le souvenir de leur fabrication. Le monde entre dans le langage comme un rapport dialectique d’activités, d’actes humains : il sort du mythe comme un tableau harmonieux d’essences » (p 216).

Le mythe est donc conservateur par essence. Il vise à immobiliser le monde, tout comme la représentation du Cosmos, véhiculée jadis par les mythes grecs, assignait à chacun sa place dans l’ordre des choses : « Car la fin même des mythes, c’est d’immobiliser le monde : il faut que les mythes suggèrent et miment une économie universelle qui a fixé une fois pour toutes la hiérarchie des possessions » (P229).

Pour en savoir plus : Mythologies, Roland Barthes